47°
9’S 126° 43’W : Celui qui chuchotait dans les abysses.
En voilà un titre énigmatique pour une œuvre atypique.
47° 9’S de latitude et
126° 43’W de longitude, ce sont des coordonnées situées à quelques milles du
point Nemo (point de l’océan le plus éloigné de toute terre émergée). Coordonnées
où, l’été 1997, une agence océanique perçoit un son rare perceptible dans un
rayon large de 5 000 kilomètres. Un son appelé le « bloop » et qui a
donné, depuis, lieu à de multiples théories quant à son origine.
Voici pour les faits
historiques avérés. Pour l’histoire du livre, on prend place dans une
expédition en route pour ces coordonnées, menée par l’extravagant professeur
Lewis Theobald Jr., qui a sollicité le journaliste David Wayland pour en tenir
le journal de bord. Il compte bien se rendre sur les lieux du « bloop »
et ainsi conforter sa théorie : celle d’un monstre marin ancien tapi dans
les abysses, et qui attendrait son retour.
Raconté à la manière d’un
journal de bord, le texte est un véritable hommage à L’appel de Cthulhu, nouvelle devenue la pierre angulaire de l’univers
inquiétant de Howard Pillips Lovecraft.
Aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands
écrivains fantastique américains de ce siècle, H.P.Lovecraft a été reconnu
seulement après sa mort. Homme complexé, dont on décrit une existence ferme et
raciste, il invente un panthéon de Dieux et monstres des plus effroyables
appelés les Grands Anciens : Cthulhu, le rêveur endormi dans la
cité sous-marine de R’lyeh, Azathot, le dieu aveugle, Nyarlathotep et tant
d’autres, et nous fait assister à la renaissance de rituels hideux, fondateurs
d’un culte blasphématoire que l’on pensait disparu depuis longtemps.
Les personnages de
Chrystel Duchamp sont très similaires aux personnages de H.P. Lovecraft.
Chercheurs, professeurs, journalistes, ils sont l’alter-ego de Lovecraft, êtres
perdus d’avance dans leur découverte de la terrible Vérité. Leur seule victoire - avant qu’ils ne disparaissent
ou ne perdent l’esprit - est de nous laisser par leurs récits un aperçu du
panthéon des Grands Anciens, un testament sur l’horreur qui s’apprête à
nous consumer.
L’écriture
est terriblement efficace, le rythme s’installant peu à peu, et crescendo, nous
amenant à un point terrifiant de non-retour, pour un final qui se pose encore
une fois en digne successeur de l’œuvre de Lovecraft.
On s’amuse des
références distillées par Chrystel Duchamp. Le nom de Lewis Theobald par
exemple, ou encore la mention d’un certain Charles D. Ward, qui signe l’article
du « Sydney Bulletin » en fac-similé de l’ouvrage.
Le format, quant à lui,
est très original, avec un visuel accrocheur pour un grand format souple magnifiquement
illustré par Eric Barge (on regretterait presque qu’il n’y ait pas plus de dessins
tellement ceux-ci sont superbes).
Souvent, et c’est ici
mon avis personnel, les écrits inspirés de Lovecraft sont d’excellents substituts
et le plaisir de leur lecture égale presque celui d’un roman ou d’une nouvelle
du maître, en étant à la fois plus contemporains et modernes, mais en même
temps passionnés et fidèles.
On peut citer par
exemple Neil Gaiman avec le très drôle Moi,
Cthulhu ou La Spéciale des Shoggoths
à l’ancienne, Stephen King avec des nouvelles comme Brume, N et le terrifiant
Crouch End, ou encore Brian Lumley et
son excellent personnage de Titus Crown, qui officie dans un univers lovecraftien.
Et bien, 47°9’S 126°43’W ne déroge pas à cette
règle.
Chrystel Duchamp et Eric
Barge signent ici un talentueux hommage à la force de l’imagination d’un maître
de l’Imaginaire.
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